• mahrane

     

     

    Ma dernière lecture. Un superbe récit d’une plume qui tremble, hésite, se perd mais prouve que la mémoire est toujours aux ordres du cœur.

     

    Résumé : Un soir, à l’heure où l’on raconte des histoires aux enfants, Mohamed Mahrane sort délicatement d’un sachet en plastique bleu une feuille jaunâtre ; Saïd, son fils, découvre ce que fut la guerre d’Algérie de son père qui fut militant FLN à Paris. « J’ai lu : “Fédération de France.” Un nom, le sien, était indiqué sous cet en-tête ; plus bas, une formule lui signifiant la reconnaissance de la République algérienne. Le document était frappé d’un tampon du FLN, Fédération de France. […] Il me reprit le tout, et dit qu’il fallait maintenant se coucher et ne plus y penser. J’y repensais : un résistant FLN, mon père. » Le bout de papier fait naître en Saïd l’envie, quasi obsessionnelle, de tout connaître, jusque dans les moindres détails. Seulement, comme beaucoup d’Algériens de sa génération, Mohamed, « ce sombre taiseux », ne se livre que trop rarement... À peine a-t-il entamé le récit de ses missions secrètes dans les cafés kabyles du IIIe arrondissement, sa cavale sur les toits de Paris avec les gendarmes à ses trousses, qu’il meurt d’un malaise cardiaque. Le jeune homme n’a plus de père ni assez de souvenirs pour compléter un récit lacunaire. Cinquante ans après les faits d’armes de son père, Saïd Mahrane entame une enquête très personnelle qui fait surgir des fantômes disparus de l’histoire de la guerre d’Algérie. À Paris et à Alger, ses interlocuteurs (patron d’un café parisien, cadre du FLN, anciens de chez Renault, héroïnes oubliées de la clandestinité, etc.) sont vieux, parfois malades, mais leur mémoire est intacte. Renouant les bribes d’un passé englouti, l’auteur fait renaître les images violentes, intenses, clandestines du « second front » de la guerre d’Algérie, qui fut aussi le décor de la jeunesse de son père, jeune kabyle dans ce Paris étouffant des années cinquante.

     

     

    Chapitre 19. Page 165 : « Quand on voit Alger, les immeubles plus tout à fait blancs, les volets mi-clos, les corps étendus à l’ombre, les ruelles escarpées, les cinémas condamnés, les enseignes en français, les pâtisseries fourrées aux dattes, la mystérieuse casbah, les poissonniers ambulants, les agrumes qui embaument, les chats bagarreurs, les chauffeurs râleurs, les policiers en bleu pervenche, les arcades le long du port, Notre-Dame d’Afrique en surplomb, les fresques de la Grande-Poste, les cafés bondés, les avenues qui se vident au crépuscule, quand on voit Alger, on comprend la souffrance des Français le jour où ils durent quitter cette ville. » en surplomb, les fresques de la Grande-Poste, les cafés bondés, les avenues qui se vident au crépuscule, quand on voit Alger, on comprend la souffrance des Français le jour où ils durent quitter cette ville. »

     

    Saïd MAHRANE, né le 30 juillet 1978, est grand reporter au Point depuis 2005.

     

     

     


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  • Hier, l’Hexagone Scène nationale de Meylan, l’ADATE de Grenoble ainsi que Pays-Âges, l’association pour laquelle je travaille ont accueilli l’auteur Gérard Noiriel à l’occasion de l’adaptation au théâtre de son livre « Chocolat, Clown noir» qui sera présenté à l’Hexagone le mardi 24 et mercredi 25 avril 2012 à 20 heures.
    chocolat couvert
    Résumé : Footit et Chocolat, c'est le plus célèbre duo de clowns de la Belle Epoque qui a inventé la comédie clownesque centrée sur deux personnages, le clown blanc et l'Auguste.

    Leurs numéros mettaient en scène de façon comique les relations de domination entre blanc et noir. Amis des peintres vivants à Montmartre, les deux clowns ont été immortalisés par Toulouse-Lautrec et ont été les premiers acteurs du cinéma muet. Le clown Chocolat, esclave noir cubain ayant fui en Europe, fut le premier artiste noir à susciter un tel engouement populaire, célébré comme un " monument national ".

    L'affaire Dreyfus mettra brutalement un terme à ce succès, le rire provoqué par les clichés racistes étant devenu gênant. Malgré son talent, Chocolat se trouvera exclu du monde du spectacle et mourra dans la misère. A travers lui, c'est l'histoire de l'esclavage et du devenir des affranchis que Gérard Noiriel étudie, les stéréotypes raciaux d'une époque et la mémoire qui en a été conservée : Chocolat fut enterré dans le quartier des indigents et aujourd'hui encore, aucune notice ne lui ait consacré dans les ouvrages sur le cirque.

    Footit, lui, a sa tombe au Père Lachaise et apparaît dans toutes les livres. A travers le monde du cirque, qui n'a jamais été regardé comme un objet historique, et plus largement celui du spectacle vivant, Gérard Noiriel poursuit ici son travail sur le racisme. Et réhabilite enfin un de ceux qui fut " chocolat " dans notre histoire nationale.

    Amities 6011


    Gérard NOIRIEL

    Gérard Noiriel
    , né le 11 juillet 1950 à Nancy, est un historien français, l'un des pionniers de l'histoire de l'immigration en France.Il s'est également intéressé à l'histoire de la classe ouvrière, et aux questions interdisciplinaires et épistémologiques en histoire. Issu d’un milieu modeste, il est aujourd'hui directeur d’études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).




     Bibliographie Gérard Noiriel



    • La France de l’immigration de 1900 à nos jours, Gérard Noiriel, Chene

    • Longwy – immigrés et prolétaires 1880-1980, Madeleine Rebérioux, Gérard Noiriel, PUF

    • Population immigration et identité nationale en France – 19ème et 20ème siècle, Dominique Borne, Gérard Noiriel, Hachette éducation, 01/1992

    • Le Creuset français – histoire de l’immigration XIXème-XXème siècle, Gérard Noiriel, Seuil, 01/1992

    • Qu’est-ce que l’histoire contemporaine ?, Gérard Noiriel, Hachette éducation, 07/1996

    • Construction des nationalités et immigration dans la France, Eric Guichard, Gérard Noiriel, Rue d’Ulm Eds, 12/1997

    • Réfugiés et sans-papiers – La République face au droit d’asile XIXème siècle – XXème siècle, Gérard Noiriel, Hachette Pluriel Référence, 09/1998

    • Sur la crise de l’histoire, Gérard Noiriel, Belin, 10/1998

    • Les origines républicaines de Vichy, Gérard Noiriel, Hachette Littérature, 11/1999

    • Etat, nation et immigration – Vers une histoire du pouvoir, Gérard Noiriel, Belin, 03/2000

    • Ouvriers dans la société française, Gérard Noiriel, Seuil, 12/2002

    • Penser avec, penser contre, Gérard Noiriel, Belin, 03/2003

    • Atlas historique de l’immigration en France – exclusion, intégration…, Gérard Noiriel, Autrement, 01/2004

    • La France hostile – Histoire sociale de la xénophobie 1870-1918, Laurent Dornel, Gérard Noiriel, Hachette Littérature, 02/2004

    • Les relations de pouvoir, Gérard Noiriel, Belin, 2000

    • Incriminer, Gérard Noiriel, Belin, 1995

    • La Tyrannie du national. Le droit d’asile en Europe : 1793-1993, Calmann-Lévy, 1991

     

    Articles

    • « L’immigration étrangère dans le monde rural pendant l’entre-deux guerres », Gérard Noiriel, Etre étranger à la campagne, Etudes rurales 135-136.1994, édition Ehess

    Amities 5993
    Amities 6000

    Abdelatif CHAOUITE, rédacteur en chef de la revue Ecarts d'identité et Gérard Noiriel
    Amities 6015



    Gérard NOIRIEL et Fethi , votre serviteur.
    Amities 5986


    http://noiriel.over-blog.com/

    http://www.adate.org/

    http://www.theatre-hexagone.eu/scene-nationale/index.php

    http://www.ecarts-identite.org/


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  • Dictionnaire amoureux de l'islam


    Depuis ce jour noir du 11 septembre 2001,l'islam a été mis à l'index planétairement et les musulmans tenus de justifier de leur bonne foi.En Occident,l'islam inspire,suspicion et souvent incomprhénsion,en particulier dans un pays comme la France où il est la deuxième religion du pays.

     Dans ce livre,Malek CHEBEL aborde avec la plus grand liberté l'ensemble des questions même difficiles qui ont trait à l'islam.

    Quelques extraits du livre que je suis en train de lire,et il suffit d'ouvrir la première page pour ne plus s'arrêter ...

    "Le Coran cite Adam dans treize sourates et au moins cinquante versets, mais il n’évoque Eve que dans un seul verset, et encore sans la nommer. Le saviez-vous ?

    Le Coran va jusqu’à confirmer la pureté de Marie, mère de Jésus (III, 42) et à demi-mot, la naissance virginale du messie chrétien. L’ignoriez-vous ?

    Autres « colles » : Ayatollah, littéralement Ayat Ullah, signifie la Manifestation d’Allah, le Signe de Dieu. On s’en doutait un peu à écouter les prêches des imans.
    Mais pourquoi donc le bakchich est-il de retour ?

    Avec la manie des Occidentaux à rédiger des guides de plus en plus détaillés sur les sites à visiter en priorité, les jeunes rechignent à exercer le métier de guide, et ils ont maintenant plus besoin des touristes que les touristes n’ont besoin d’eux. Mais les touristes sont des croyants, et il leur faut donner leur obole à la grande Eglise du Voyage. Auriez-vous de la chance ? Feriez-vous une récolte exceptionnelle ? On vous fera remarquer : « C’est Dieu qui a fait fructifier ton bien » - baraka Allahu rizquka. D’où le terme de baraka.

    Au fil des pages, glanons encore quelques fleurs, quelques chardons.

    La charia , dont on parle à tort et à travers ces temps-ci, vient tout simplement du verbe chara’a, (prescrire), et se compose des textes canoniques, essentiellement le Coran et les hadiths, c’est-à-dire les faits et gestes du Prophète et, a fortiori, des paroles ou les commentaires qu’il aurait émis au sujet de tel ou tel événement de la vie courante, ses interprétations du Coran, ses interrogations ou encore ses décisions en matière de justice- ce qui ne facilite pas la jurisprudence.

    Le chi’isme, qui occupe le devant de l’actualité irakienne, dérive directement de chi’a , qui veut dire « clan ». On appelle chi’ite le musulman qui a choisi de suivre le mouvement impulsé par l’imam Ali, à la fois cousin et gendre du Prophète, littéralement divinisé après son assassinat en 661.

    Rodrigue, quel cœur avais-tu donc ? Notre héros national-cornélien, en réalité, avait obtenu son titre de Cid , qui vient de l’arabe sidi ou sayyid, en se mettant au service des sultans musulmans.

    L’empire du Calife, qui valait mille rois, à la fois pape et empereur, se divise en trois : Dar al-islam, la Demeure de l’Islam, Dar as-sulh, la Demeure de la négociation et de la paix, Dar al-harb, la Demeure de la guerre. C’est là que se déploient, selon notre auteur, les kamikazes, les idéologues doctrinaires, les pousse-au-crime qui forment soldats et terroristes.

    M. Chabel aurait peut-être pu préciser que dans l’un de ses discours après le 11 septembre, Ben Laden a revendiqué l’Andalousie (Balad al-Andalus) comme faisant partie de la Maison de l’Islam, signifiant par là qu’une fois conquis par l’Islam, un territoire converti ne pouvait jamais être abandonné. Et l’Andalousie est la seule dans ce cas.

    Le terme harem, cela va sans dire, mais cela vaut mieux en le disant, signifie interdit (haram) ; il désigne l’endroit où ne peuvent entrer les mâles étrangers à la famille, l’équivalent du gynécée de la Grèce antique.

    Tout un article est consacré aux mignons et autres hermaphrodites. Leur statut est inférieur à celui de la femme, lequel est inférieur à celui de l’enfant, qui est inférieur à celui de l’homme. Les mignons se distinguent par le duvet qui couvre leur visage, un duvet soyeux « qui n’a pas encore viré au bleu », comme le chante Abu Nuwas, le grand poète libertin du VIIIe siècle, auprès duquel notre Casanova fait pâle figure. Paradoxe : l’homosexualité est condamnée par les textes sacrés, et l’interdit touche aussi bien le consentement mutuel entre adultes que la pédophilie. Comme quoi les interdits sont faits pour être transgressés.

    L’excision qui n’est pas une pratique islamique, se perpétue pourtant dans nombre de pays musulmans, malgré les consignes donnés par les textes officiels.

    Les eunuques étaient encore très convoités dans tout le monde musulman « il n’y a pas si longtemps », assure M. Chebel. Ils étaient « le fléau du vice et la colonne de la fidélité »( Montesquieu). « Jamais, insiste l’auteur, le caractère scandaleux, ni même l’idée que cela le fût, n’effleura l’esprit de ces hommes-là condamnés à châtrer leurs frères de plus simple condition pour réaliser leur rêve de puissance. Jamais ». M. Chebel a la bonté de ne pas nous rappeler ce qu’il en était dans le monde chrétien.

    Bien sûr, l’article consacré au voile sera lu avec attention. Le hidjeb, indique l’auteur, est recommandé par le Coran dans deux verset coraniques XXIV, 31 ; XXXIII, 59) qui instituent l’usage du voile chez la femme. « En réalité, ajoute-t-il aussitôt, le texte laisse libre le fidèle de faire son interprétation [...] La recommandation est donc laissée à l’appréciation soit de l’imam , soit du père et parfois même du groupe ». La casuistique des jésuites au temps de Pascal n’était pas moins subtile....

    Quand on vous adresse un Salam Alaïkum, la Paix soit sur vous, sachez que le « vous » s’adresse autant au fidèle musulman qu’à ses anges gardiens - qui accompagnent tout un chacun en islam..


                                                                             Bonne lecture ...

    Né en 1953 à Skikda en Algérie, Malek Chebel fait ses études primaires et secondaires en arabe puis obtient son baccalauréat philosophie et lettres et entre jusqu'en 1977 à l'Université Aïn El-Bey de Constantine. En 1980, il obtient un premier doctorat en psychopathologie clinique et psychanalyse à Paris VII, Centre Censier. Puis en 1982, Malek Chebel obtient son doctorat d'anthropologie et d'histoire des religions à Jussieu, et en 1984 son doctorat de sciences politiques de l'IEP de Paris. En 1995, il est habilité à la direction de recherche à la Sorbonne. Il a exercé dans des universités en France (la Sorbonne, Paris IV), au Maroc, en Tunisie, aux Etats-Unis, en Belgique...

    Il est marié et il a trois enfants.

    Malek Chebel à pris des positions fortes sur un Islam moderne quand il parle dans différentes entrevues réalisées pour la presse du voile qui est un sujet "secondaire" ou du besoin de traiter les problèmes entre les hommes par les hommes eux mêmes et non par Dieu.

         
        

    BIBLIOGRAPHIE

    2011 : Les Enfants d'Abraham. Un chrétien, un juif et un musulman dialoguent, avec Alain de La Morandais, Haïm Korsia, Presses de la Renaissance
    2011 : Les grandes figures de l'Islam, Librairie Académique Perrin
    2009 : Dictionnaire encyclopédique du Coran, Fayard
    2009 : Coran (nouvelle traduction), Fayard
    2009 : Sagesses d'Islam, Éd. First
    2008 : Anthologie du vin et de l'ivresse en Islam, Pauvert
    2008 : L'Islam pour les Nuls, avec Malcolm Clark,
    2007 : Ouvrage collectif Prières d'Islam. Ce que les hommes disent aux Dieux, Éd. du Seuil, p. 209-272
    2007 : L'esclavage en terre d'islam Fayard
    2007 : Treize contes du Coran et de l'Islam, Fayard
    2007 : L'Islam expliqué, Perrin

    1999 : Le traité du raffinement, Editions Payot
    1997 : Les symboles de l'Islam, Editions Assouline, 2e édition 1999
    1996 : Psychanalyse des "Milles et Une Nuits", Editions Payot, 2e édition 2002 (?)
    1995 : Encyclopédie de l'amour en Islam. Erotisme, beauté et sexualité dans le monde arabe en Perse et en Turquie, Editions Payot, 2e édition 1997
    1995 : Dictionnaire des symboles musulmans, Editions Albin Michel, 2e édition 2003
    1992 : Histoire de la circoncision des origines à nos jours, Editions Balland, 2e édition 1995

    1988 : L'Esprit de sérail, mythes et réalité sexuelle au Maghreb, Editions Payot, 2e édition 1995
    1986 : Le livre des séductions suivi de Dix Aphorismes sur l'amour, Editions Payot, 2e édition 1996
    1986 : La formation de l'identité politique, Editions Payot, 2e édition 1997
    1984 : Du corps en Islam, Editions PUF, coll. Quadrige, 2e édition 1999



                                   

     


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  • Depuis l'indépendance de l'Algérie, les rapatriés ont toujours soutenu l’idée qu’ils avaient été « obligés » de quitter l’Algérie au moment de l’indépendance en 1962, car, menacés physiquement par les « Arabes », ils n’auraient pas eu d’autre choix. Pourtant, à la fin de la guerre, deux cent mille pieds-noirs ont décidé de demeurer dans le nouvel Etat. Témoignages de personnes qui y vivent encore aujourd’hui.

    Par Pierre Daum -Le Monde diplomatique

    Alger, janvier 2008. Pour trouver la maison où habite Cécile Serra, il vaut mieux ne pas se fier aux numéros désordonnés de la rue. En revanche, demandez à n’importe quel voisin : « Mme Serra ? C’est facile, c’est la maison avec les orangers et la vieille voiture ! » Cécile Serra reçoit chaque visiteur avec une hospitalité enjouée. Dans son jardin magnifiquement entretenu par M. Mesaour, son voisin, trône la carcasse rouillée d’une Simca Aronde modèle 1961. « Ah ! On en a fait des balades dans cette voiture avec mon mari ! Tous les week-ends, on partait à la pêche avec un groupe d’amis ; il y avait M. Gabrière et M. Cripo, avec leur femme. Jusqu’en 1981. Puis mon mari a commencé à être fatigué. Mais du bon temps, on en a eu ! »

    A écouter les récits de cette délicieuse dame de 90 ans à l’esprit vif et plein d’humour, on aurait presque l’impression que la « révolution » de 1962 n’a guère changé le cours de son existence de modeste couturière du quartier du Golf, à Alger. « Et pourquoi voulez-vous que ça ait changé quelque chose ? vous apostrophe-t-elle avec brusquerie. J’étais bien avec tout le monde. Les Algériens, si vous les respectez, ils vous respectent. Moi, j’ai jamais tutoyé mon marchand de légumes. Et aujourd’hui encore, je ne le tutoie pas. »

    La grand-mère maternelle de Cécile Serra est née à Cherchell, en 1858. Son père, tailleur de pierre, a déménagé à Alger dans les années 1920. « Il a fait construire cette petite maison en 1929 et, depuis, je n’en suis jamais partie. » Comment se fait-il qu’elle n’ait pas quitté l’Algérie en 1962 ? « Mais pourquoi serais-je partie ? Ici, c’est notre pays. Tout est beau. Il y a le soleil, la mer, les gens. Pas une seconde je n’ai regretté d’être restée. » Son mari, Valère Serra, était tourneur dans une entreprise pied-noire (1). « Pendant la guerre, il se déplaçait souvent pour vendre des produits. Il disait à nos voisins [arabes] : “Je vous laisse ma femme et mon fils !” Et il ne nous est jamais rien arrivé. Sauf quand y a eu l’OAS [Organisation armée secrète] (2). La vérité, c’est que c’est eux qui ont mis la pagaille ! Mais “La valise ou le cercueil”, c’est pas vrai. Ma belle-sœur, par exemple, elle est partie parce qu’elle avait peur. Mais je peux vous affirmer que personne ne l’a jamais menacée. »

    En 1962, les ateliers où travaillait Valère ont été liquidés, et il a pris sa retraite. Cécile a continué sa couture. « En 1964, avec l’Aronde, on est partis faire un tour en France. Pour voir, au cas où... A chaque fois qu’on rencontrait des pieds-noirs, qu’est-ce qu’on n’entendait pas ! “Comment ! Vous êtes toujours là-bas ! Vous allez vivre avec ces gens-là !” Alors on s’est dépêchés de rentrer chez nous. »

    Cécile Serra fait partie des deux cent mille pieds-noirs qui n’ont pas quitté l’Algérie en 1962 (3). Etonnant ? Non, tout à fait logique. Comme le souligne Benjamin Stora, un des meilleurs historiens de l’Algérie, « depuis qu’ils sont rentrés en France, les rapatriés ont toujours cherché à faire croire que la seule raison de leur départ était le risque qu’ils couraient pour leur vie et celle de leurs enfants. Et qu’ils avaient donc nécessairement tous été obligés de partir. Or cela ne correspond que très partiellement à la réalité (4) ».

    Jean-Bernard Vialin avait 12 ans en 1962. Originaire de Ouled Fayet, petite commune proche d’Alger, son père était technicien dans une entreprise de traitement de métaux et sa mère institutrice. Ancien pilote de ligne à Air Algérie, il nous reçoit sur son bateau, amarré dans le ravissant port de Sidi Fredj (ex-Sidi-Ferruch), à l’ouest d’Alger. « Mes parents appartenaient à ceux qu’on appelait les libéraux. Ni engagés dans le FLN [Front de libération nationale] ni du côté des partisans jusqu’au-boutistes de l’Algérie française. Juste des gens, malheureusement très minoritaires, qui refusaient d’accepter le statut réservé aux “musulmans” et les injustices incroyables qui en résultaient. On s’imagine mal aujourd’hui à quel point le racisme régnait en Algérie. A Ouled Fayet, tous les Européens habitaient les maisons en dur du centre-ville, et les “musulmans” pataugeaient dans des gourbis, en périphérie. » Des habitations précaires faites de murs en roseau plantés dans le sol et tenus entre eux par des bouts de ficelle, sur lesquels reposaient quelques tôles ondulées en guise de toiture. « Ce n’était pas l’Afrique du Sud, mais presque. »

    En janvier 1962, une image s’est gravée dans les yeux du jeune garçon. « C’était à El-Biar [un quartier des hauteurs d’Alger]. Deux Français buvaient l’anisette à une terrasse de café. Un Algérien passe. L’un des deux se lève, sort un pistolet, abat le malheureux, et revient finir son verre avec son copain, tandis que l’homme se vide de son sang dans le caniveau. Après ça, que ces mecs aient eu peur de rester après l’indépendance, je veux bien le croire... » Pour ses parents, en revanche, « il n’a pas été question une seconde de partir. C’était la continuité. Ils avaient toujours désiré une vraie égalité entre tout le monde, ils étaient contents de pouvoir la vivre ».

    En septembre 1962, ses deux mille Européens ont déserté Ouled Fayet, sauf les Vialin. Les petites maisons coloniales se sont retrouvées rapidement occupées par les Algériens des gourbis alentour — « ce qui est tout à fait naturel », précise l’ancien pilote. Sa mère rouvre seule l’école du village. Dès 1965, la famille acquiert la nationalité algérienne. « Et finalement, je me sens algérien avant tout. A Air Algérie, ma carrière s’est déroulée dans des conditions parfaitement normales ; on m’a toujours admis comme étant d’une autre origine, mais sans faire pour autant la moindre différence. »

    André Bouhana, lui non plus, n’a jamais craint de demeurer là. « J’ai grandi à Ville Nouvelle, un des quartiers musulmans d’Oran. Je parlais l’espagnol, comme mes parents, mais aussi l’arabe dialectal, puisque tous mes copains étaient arabes. Ce n’est pas comme les Européens qui habitaient le centre-ville. Donc, au moment de l’indépendance, pourquoi j’aurais eu peur ? » Aujourd’hui, à 70 ans, Bouhana habite dans une misérable maison à Cap Caxine, à l’ouest d’Alger. Entouré de nombreux chiens et chats, il survit grâce aux 200 euros de l’allocation-vieillesse que dispense le consulat français à une quarantaine de vieux pieds-noirs sans ressources. « Mais, surtout, j’ai des amis algériens, des anciens voisins, qui vivent en France, et qui m’envoient un peu d’argent. » Et sa famille rapatriée ? « Vous rigolez ! Pas un euro ! Ils ne me parlent plus. Ils ne m’ont jamais pardonné de ne pas avoir quitté l’Algérie. »

    Et puis, il y a Félix Colozzi, 77 ans, communiste, engagé dans le maquis aux côtés du FLN, prisonnier six ans dans les geôles françaises (dont la terrible prison de Lambèse, près de Batna), devenu ingénieur économiste dans des entreprises d’Etat. Et André Lopez, 78 ans, le dernier pied-noir de Sig (anciennement Saint-Denis-du-Sig), à cinquante kilomètres d’Oran, qui a repris l’entreprise d’olives créée par son grand-père, et qui y produit à présent des champignons en conserve. Et le père Denis Gonzalez, 76 ans, à l’intelligence toujours très vive, « vrai pied-noir depuis plusieurs générations », qui, dans le sillage de Mgr Duval, le célèbre évêque d’Alger honni par l’OAS, a choisi de « rester au service du peuple algérien ».

    Et même Prosper Chetrit, 78 ans, le dernier juif d’Oran depuis la mort de sa mère, qui rappelle que « trois mille juifs sont demeurés à Oran après 1962 », et que, « pour eux, la situation n’a commencé à se détériorer qu’à partir de 1971, quand les autorités ont confisqué la synagogue pour la transformer en mosquée, et que le dernier rabbin est parti. Mais moi, précise-t-il, tout le monde sait que je suis juif, et tout le monde m’estime ».

    « On a eu ce qu’on voulait, maintenant on oublie le passé et on ne s’occupe que de l’avenir »

    Il était donc possible d’être français et de continuer à vivre dans l’Algérie indépendante ? « Bien sûr ! », s’exclame Germaine Ripoll, 82 ans, qui tient toujours avec son fils le petit restaurant que ses parents ont ouvert en 1932, à Arzew, près d’Oran. « Et je vais même vous dire une chose : pour nous, la situation n’a guère bougé. Le seul vrai changement, c’est quand on a dû fermer l’entrepôt de vin, en 1966, lorsque la vente d’alcool est devenue interdite. Mais ça ne m’a jamais empêchée de servir du vin à mes clients. »

    Au fur et à mesure de ces entretiens avec des pieds-noirs, ou « Algériens d’origine européenne », comme certains préfèrent se nommer, une nouvelle image apparaît, iconoclaste par rapport à celle qui est véhiculée en France. L’inquiétude des Européens était-elle toujours justifiée ? La question demeure difficile à trancher, sauf dans le cas des harkis (5). Certes, les déclarations de certains leaders nationalistes ont pu paraître inquiétantes. En premier lieu, la proclamation du 1er novembre 1954, qui affirme la volonté du FLN d’ériger une Algérie démocratique « dans le cadre des principes islamiques ». Toutefois, la plupart des pieds-noirs de France semblent avoir complètement oublié que durant cette guerre, la direction du FLN a pris soin, à plusieurs reprises, de s’adresser à eux afin de les rassurer. « Moi, je les lisais avec délectation », se souvient très bien Jean-Paul Grangaud, petit-fils d’instituteurs protestants arrivés en Kabylie au XIXe siècle et qui est devenu, après l’indépendance, professeur de pédiatrie à l’hôpital Mustapha d’Alger, puis conseiller du ministre de la santé. Dans le plus célèbre de ces appels, lancé de Tunis, siège du gouvernement provisoire, le 17 février 1960 aux « Européens d’Algérie », on peut lire : « L’Algérie est le patrimoine de tous (...). Si les patriotes algériens se refusent à être des hommes de seconde catégorie, s’ils se refusent à reconnaître en vous des supercitoyens, par contre, ils sont prêts à vous considérer comme d’authentiques Algériens. L’Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n’est pas une fiction. Elle traduit une réalité vivante, basée sur une vie commune. » La seule déception qu’ont pu ressentir ceux qui ne sont pas partis est liée à l’obtention de la nationalité algérienne, puisqu’ils furent obligés de la demander, alors qu’elle devenait automatique pour les Algériens musulmans. Mais c’était en 1963, donc bien après le grand départ des pieds-noirs.

    En ce qui concerne leurs biens, les Européens qui sont restés n’ont que rarement été inquiétés. « Personne ne s’est jamais avisé de venir nous déloger de notre villa ! », s’exclame Guy Bonifacio, oranais depuis trois générations, à l’unisson de toutes les personnes rencontrées. Quant au décret de nationalisation des terres, promulgué en 1963 par le nouvel Etat socialiste, il n’a concerné que les très gros domaines, les petites parcelles laissées vacantes, et éventuellement les terres des Français qui, bien que demeurés sur place, ont refusé de prendre la nationalité algérienne. Vieille Oranaise pourtant toujours très remontée contre les Algériens, Jeanine Degand est formelle : « J’ai un oncle qui possédait une trentaine d’hectares du côté de Boutlélis. En 1963, les Algériens lui ont dit : “Ou tu te fais algérien, et tu gardes ta ferme ; ou tu refuses, et on te la prend.” Il avait sa fierté, il a refusé, et on la lui a prise. C’est sûr que, s’il avait adopté la nationalité, il l’aurait toujours. »

    Il n’a non plus jamais été suffisamment souligné avec quelle rapidité la paix complète est revenue en Algérie. « Je suis arrivé dans le pays à l’été 1963, raconte Jean-Robert Henri, historien à la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, à Aix-en-Provence. Avec ma vieille voiture, j’ai traversé le pays d’est en ouest, dormant dans les coins les plus reculés. Non seulement, avec ma tête de Français, il ne m’est rien arrivé, mais à aucun moment je n’ai ressenti le moindre regard d’hostilité. J’ai rencontré des pieds-noirs isolés dans leur ferme qui n’éprouvaient aucune peur. » « C’est vrai que, dès août 1962, plus un seul coup de feu n’a été tiré en Algérie, affirme F. S. (6), l’un des historiens algériens les plus reconnus de cette période. C’est comme si, le lendemain de l’indépendance, les Algériens s’étaient dit : “On a eu ce qu’on voulait, maintenant on oublie le passé et on ne s’occupe que de l’avenir.” » Marie-France Grangaud confirme : « Nous n’avons jamais ressenti le moindre esprit de revanche, alors que presque chaque famille avait été touchée. Au contraire, les Algériens nous témoignaient une véritable reconnaissance, comme s’ils nous disaient : “Merci de rester pour nous aider” ! »

    Finalement, on en vient à se demander pourquoi tant de « Français d’Algérie » ont décidé de quitter un pays auquel ils étaient aussi charnellement attachés. Lorsqu’on leur pose cette question, en France, ils évoquent presque toujours la peur, alimentée par le climat de violence générale qui régnait en Algérie dans les derniers mois de la guerre — avec, mis en exergue, trois faits dramatiques de 1962 : la fusillade de la rue d’Isly, le 26 mars à Alger ; le massacre du 5 juillet à Oran ; et les enlèvements d’Européens (lire « Trois événements traumatisants »).

    « Le déchaînement de violence, fin 1961 - début 1962, venait essentiellement de l’OAS, rectifie André Bouhana. A cause de l’OAS, un fossé de haine a été creusé entre Arabes et Européens, qui n’aurait pas existé sinon. » Et tous d’insister plutôt sur l’extrême modération avec laquelle le FLN a répondu aux assassinats de l’OAS. « A Arzew, se souvient Germaine Ripoll, l’OAS était présente, mais les Algériens n’ont jamais menacé aucun Français. » Quant aux enlèvements (deux mille deux cents Européens disparus entre 1954 et 1962, sur une population d’un million), un certain nombre d’entre eux étaient « ciblés ». « Dans mon village, affirme Jean-Bernard Vialin, seuls les activistes de l’OAS ont été enlevés. »

    « Les Européens ont eu très peur, analyse Stora. Mais peur de quoi ? Peur surtout des représailles aveugles, d’autant que les pieds-noirs savaient, et savent toujours, que le rapport entre leurs morts et ceux des Algériens était d’au moins un pour dix (7) ! Quand l’OAS est venue, un grand nombre d’entre eux l’a plébiscitée. Ils avaient donc peur des exactions de militants du FLN, en réponse à celles de l’OAS. Pourtant, une grande majorité d’Algériens n’a pas manifesté d’esprit de vengeance, et leur étonnement était grand au moment du départ en masse des Européens. »

    « Nous vivions de facto avec un sentiment de supériorité. Nous nous sentions plus civilisés »

    Mais, si la raison véritable de cet exode massif n’était pas le risque encouru pour leur vie et leurs biens, qu’y a-t-il eu d’autre ? Chez Jean-Bernard Vialin, la réponse fuse : « La grande majorité des pieds-noirs a quitté l’Algérie non parce qu’elle était directement menacée, mais parce qu’elle ne supportait pas la perspective de vivre à égalité avec les Algériens ! » Marie-France Grangaud, fille de la bourgeoisie protestante algéroise (d’avant 1962), devenue ensuite directrice de la section sociale à l’Office national algérien des statistiques, tient des propos plus modérés, mais qui vont dans le même sens : « Peut-être que l’idée d’être commandés par des Arabes faisait peur à ces pieds-noirs. Nous vivions de facto avec un sentiment de supériorité. Nous nous sentions plus civilisés. Et puis, surtout, nous n’avions aucun rapport normal avec les musulmans. Ils étaient là, autour de nous, mais en tant que simple décor. Ce sentiment de supériorité était une évidence. Au fond, c’est ça la colonisation. Moi-même, j’ai dû faire des efforts pour me débarrasser de ce regard... »

    Entre 1992 et 1993, la chercheuse Hélène Bracco a parcouru l’Algérie à la recherche de pieds-noirs encore vivants. Elle a recueilli une soixantaine de témoignages, dont elle a fait un livre, L’Autre Face : « Européens » en Algérie indépendante (8). Pour cette chercheuse, « la vraie raison du départ vers la France se trouve dans leur incapacité à effectuer une réversion mentale. Les Européens d’Algérie, quels qu’ils soient, même ceux situés au plus bas de l’échelle sociale, se sentaient supérieurs aux plus élevés des musulmans. Pour rester, il fallait être capable, du jour au lendemain, de partager toutes choses avec des gens qu’ils avaient l’habitude de commander ou de mépriser ».

    La réalité offre des cas parfois surprenants. Certains des pieds-noirs rencontrés en Algérie tiennent encore des propos colonialistes et racistes. S’ils sont encore là, c’est autant pour protéger leurs biens (appartements, immeubles, entreprises) que parce que « l’Algérie, c’est [leur] pays ».

    Conséquence logique de ces différences de mentalité : la plupart des pieds-noirs demeurés au sud de la Méditerranée n’ont que très peu de contacts avec ceux de France. « En 1979, à la naissance de ma fille, dont la mère est algérienne, je suis allé en France, se souvient Jean-Bernard Vialin. Dans ma propre famille, on m’a lancé : “Quoi ! Tu vas nous obliger à bercer une petite Arabe ?” » Lorsqu’il est en France, Guy Bonifacio évite de rencontrer certains rapatriés : « Ils nous considèrent comme des collabos, constate-t-il avec un soupir. Combien de fois ai-je entendu : “Comment tu peux vivre avec ces gens-là, ce sont des sauvages !” » Néanmoins, Marie-France Grangaud amorce un sourire : « Depuis quelques années, de nombreux pieds-noirs reviennent en Algérie sur les traces de leur passé. L’été dernier, l’un d’eux, que je connaissais, m’a dit en repartant : “Si j’avais su, je serais peut-être resté.” »


    Par Pierre Daum

    (1) L’origine de l’expression « pieds-noirs » continue d’être l’objet de nombreuses hypothèses. Apparu très tardivement — quasiment au moment du rapatriement des Français d’Algérie —, ce mot désigne les Européens (y compris les juifs naturalisés par le décret Crémieux en 1870) nés en Algérie avant 1962. Par extension, certains l’utilisent en parlant des Français nés en Tunisie et au Maroc avant l’indépendance de ces deux pays.

    (2) Apparue en 1961, l’Organisation armée secrète (OAS) regroupait les partisans de l’Algérie française les plus extrémistes. Posant des bombes et assassinant en pleine rue des musulmans et des Français modérés, l’OAS a joui du soutien d’une majorité de pieds-noirs.

    (3) Cf. Bruno Etienne, Les Problèmes juridiques des minorités européennes au Maghreb, Editions du CNRS, Paris, 1968, p. 236 et suivantes.

    (4) On trouve un nouvel exemple de cette vision mythifiée de l’histoire dans le long documentaire de Gilles Perez, Les Pieds-Noirs. Histoire d’une blessure, diffusé sur France 3 en novembre 2006, et largement rediffusé par la suite.

    (5) Plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers, d’entre eux ont été massacrés sans pitié au moment de l’indépendance. Lire à ce sujet le tout récent ouvrage de Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, Les Harkis dans la colonisation et ses suites, L’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2008. Lire également « Le hurlement des torturés », Le Monde diplomatique, août 1992.

    (6) Parce qu’il occupe de hautes responsabilités au ministère de la culture, cet homme nous a demandé de masquer son identité.

    (7) Sur la guerre d’Algérie, chaque chiffre fait l’objet d’importants débats. Pour avoir un ordre de grandeur, on peut cependant avancer, côté français : quinze mille soldats morts au combat (plus neuf mille par accident !), deux mille huit cents civils tués et deux mille deux cents disparus. Côté algérien : cent cinquante mille combattants tués par l’armée française (et plusieurs dizaines de milliers de victimes de purges internes), environ soixante mille civils morts, plus de treize mille civils disparus, entre quarante mille et cent vingt mille harkis tués, et un million de paysans déplacés. Cf. Guy Pervillé, « La guerre d’Algérie : combien de morts ? », dans Mohammed Harbi et Benjamin Stora (sous la dir. de), La Guerre d’Algérie, Robert Laffont, Paris, 2007, p. 477 et suivantes.

    (8) Paris-Méditerranée, Paris, 1999.

    Cet article a été prolongé par Pierre Daum dans un livre publié le 18 janvier 2012 : Ni valise ni cercueil. Les pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance, Actes Sud, Arles, 2012.
    ni-valise-ni-cercueil


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  • Madame-Arnoul


     

    La réussite de ce bref récit d’une enfance en Algérie, à Batna précisément, tandis que la France y faisait la guerre, tient sans doute à trois facteurs.

    D’abord, le sentiment constant d’une véracité; en effet, nombre de scènes, l’attentat au cinéma, la douleur au cimetière, le traumatisme de Bambi, les soldats campant sur la cour de l’immeuble, leur ivresse et leur désenchantement, l’attitude de l’oncle ayant rejoint les rangs de l’O.A.S., ou encore cette remarque : mon père « n’osait plus déployer Le Monde et se contentait de le lire, plié en quatre, en secret, à la lueur de la lampe-tempête», tout cela, semble-t-il, a dû être vécu — si «fidèlement» rapporté.    
          

    Ensuite un art de la discrétion parfaitement maîtrisé. Tout est suggéré, les faits, les actes, les sentiments. Les personnages existent, ceux de «la Maison», sans que leurs contours soient trop appuyés. Madame Arnoul, venue d’Alsace, malheureuse en ménage, de qui le narrateur s’éprend comme d’une seconde mère, et elle le lui rend bien, semble être passée du côté des Arabes, etc. suscite, au-delà du rêve, de l’émotion. L’évocation, la présence, à quatre reprises, dans le récit, de l’enfant Mohammed Khair-Eddine à l’école et au collège, est également très émouvante, car elle accrédite l’amitié par-delà les races, cette fraternité que montre Pancrazi entre nombre de colons et de colonisés.

    Enfin, c’est bien le moindre mais ce n’est pas si fréquent, le style est particulièrement heureux. Non seulement chaque phrase obéit à un rythme, mais encore, les sensations occupent une grande place dans l’écriture de Pancrazi qui écarte toute banalité et invente des images neuves. «Nous courions, presque nus, autour de la table en saisissant au passage, parmi les bouquets défaits, des branches d’églantiers réduites à leurs épines. On s’en flagellait ensuite en se poursuivant sur les galeries avant de plonger dans l’eau des bassins des buanderies. Étendus sur les dalles encore tièdes de la terrasse et couverts d’égratignures, nous riions sous les étoiles tels des martyrs heureux».

    Véracité, discrétion et en même temps clarté de la pensée, perfection de l’écriture, telles sont les qualités de ce récit qui confèrent un bonheur de lecture durable.

    Pour un petit garçon français, Batna ressemblait fort au paradis avant les «événements d'Algérie». Avant les bombes dans les cinémas, les tortures, les mutilations, les assassinats, les délations, les viols, l'escalade des représailles. Jean-Noël Pancrazi ressuscite l'enfant qui a vu basculer en enfer sa petite ville. Il évoque les tiraillements, et puis les déchirures de sa communauté jusqu'à l'arrachement définitif qui a fait de lui, à jamais, un «enfant perdu».

    Une de ses voisines, Mme Arnoul, alsacienne, pâle et menue, est son amie. Mariée à un pochard qui la bat, elle aime aller s'asseoir sur un banc, silencieuse, auprès du sage petit écolier. Elle aime aussi aller se promener avec lui jusqu'à un wagon abandonné d'où elle contemple d'invisibles lointains et rêve de voyages. Décrétée «du côté des Arabes» parce qu'elle a protégé une petite Algérienne contre les assauts d'un militaire français, Mme Arnoul va être «punie».

    Autre personnage clé, le meilleur camarade d'école du narrateur, Mohammed Khair-Eddine, «tendu d'admiration pour une langue et une culture dont il n'imaginait pas pouvoir être exilé un jour».

    De l'odeur de la sueur des soldats à celles de l'encre et du jasmin, on retrouve la riche gamme olfactive qui caractérise l'œuvre de Jean-Noël Pancrazi. On retrouve aussi des éléments de «son» décor: abat-jour de satin rose, fauteuil de velours bleu nuit, fronces d'un rideau... Mieux que le souffle de l'histoire: le soupir du détail.

    Jean-Noël Pancrazi est un écrivain français né à Sétif (Algérie) le 28 avril 1949.

    Ce romancier d'origine corse est né en Algérie, pays qu'il quitte avec ses parents en 1962 après l'indépendance pour s'installer en métropole à Perpignan puis à Paris.

    Agrégé de Lettres modernes en 1972 et collaborateur au Monde des Livres, il est membre du jury du Prix Renaudot depuis 1999. Il est connu pour son écriture recherchée, aux longues phrases semées de métaphore.

    Le narrateur des Quartiers d'hiver évoque la vie d'un bar gay, ses amours avec un jeune sans abri, son amitié avec un peintre adonné au S/M, sur fond d'épidémie de sida. Le récit Madame Arnoul évoque son enfance algérienne à Batna.

     

     

     

    Quand j’étais gamin vers la fin des années 70 à Batna, avec d’autres enfants on allait jouer à côté d’une maison qu’on appelait la maison de l’ « Allemande ». À la fin de la lecture de ce livre poignant une question me revient tout le temps : « L’Allemande serait-elle Madame Arnoul ? ». Je poserai la question aux anciens, peut être certains d’entre eux l’aurait connue. (Fethi)

     

     


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