• Un jour, la femme d'un pauvre bédouin dit à son mari pleine d'aigreur :

    " Nous souffrons sans cesse de la pauvreté et du besoin. Le chagrin est notre lot tandis que le plaisir est celui des autres. Nous n'avons pas d'eau, mais que des larmes. La lumière du soleil est notre seul vêtement et le ciel nous sert d'édredon. Il m'arrive parfois de prendre la pleine lune pour un morceau de pain. Même les pauvres ont honte devant notre pauvreté.

    Quand nous avons des invités, j'ai envie de leur voler leurs vêtements tandis qu'ils dorment."





    Son mari lui répondit :

    "Jusqu'à quand vas-tu continuer à te plaindre ? Plus de la moitié de ta vie est déjà écoulée. Les gens sensés ne se préoccupent pas du besoin et de la richesse car tous deux passent comme la rivière.
    Dans cet univers, il est bien des créatures qui vivent sans se soucier de leur subsistance. Le moustique comme l'éléphant fait partie de la famille de Dieu.
    Tout celà n'est que vain souci. Tu es ma femme et un couple doit être assorti. Puisque moi je suis satisfait, pourquoi es-tu si chagrine ? "



    La femme se mit à crier :

    "Ô toi qui prétends être honnête ! Tes idioties ne m'impressionnent plus. Tu n'es que prétention. Vas-tu continuer longtemps encore à proférer de telles insanités !
    Regarde-toi : la prétention est une chose laide, mais pour un pauvre, c'est encore pire . Ta maison ressemble à une toile d'araignée. Tant que tu continueras à chasser le moustique dans la toile de ta pauvreté, tu ne seras jamais admis auprès du sultan et des beys."


    L'homme répliqua :

    "Les biens sont comme un chapeau sur la tête. Seuls les chauves en ont besoin. Mais ceux qui ont de beaux cheveux frisés peuvent fort bien s'en passer ! "



    Voyant que son mari se mettait en colère, la femme se mit à pleurer car les larmes sont les meilleurs pièges des femmes. Elle commença à lui parler avec modestie :

    " Moi, je ne suis pas ta femme ; je ne suis que la terre sous tes pieds. Tout ce que j'ai, c'est à dire mon âme et mon corps, tout celà t'appartient. Si j'ai perdu ma patience au sujet de notre pauvreté, si je me lamente, ne crois pas que ce soit pour moi. C'est pour toi ! "

    Bien que dans l'apparence les hommes l'emportent sur les femmes, en réalité, ce sont eux les vaincus sans aucun doute.
    C'est comme pour l'eau et le feu, car l'eau finit toujours par vaporiser le feu.






    En entendant ces paroles, le mari s'excusa auprès de sa femme et dit :

    " Je renonce à te contredire. Dis moi ce que tu veux. "




    Jalâl ud Dîn Rûmî,(Balkh, 30 septembre 1207 - Konya, 17 décembre 1273) est un mystique musulman persan qui a profondément influencé le soufisme. Il existe une demi-douzaine de transcriptions du prénom Djalal-el-dine, « majesté de la religion » (de djalal, majesté, et dine, religion, mémoire, culte).

     Il reçut très tôt le surnom de khodâvendegâr, ou mawlânâ khodâvendegâr ou mevlânâ, qui signifie « notre maître ». Son nom est intimement lié à l'ordre des « derviches tourneurs » ou mevlevis, une des principales confréries soufies de l'islam, qu'il fonda dans la ville de Konya en Turquie.
                                  جلال الدين الرومي


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  • René CHAR à Albert CAMUS                                                        
                                                                                                     Le 14 septembre 1957



     Un peu, où  êtes-vous, cher Albert ?
     J'ai la sensation cruelle,tout à coup, de vous avoir perdu. Le Temps se fait en forme de hâche.
     À quand?
     Votre                                                                                    
                                                                                                                                                                                                                       






    Albert CAMUS à René CHAR

                                                                                                    Le 17 septembre 1957

                Cher René,
                 Je suis en Normandie avec mes enfants, près de Paris en somme, et plus près de vous par le cœur. Le temps ne sépare, il n'est lâche que pour les séparés -Sinon, il est fleuve, qui porte, du même mouvement. Nous nous ressemblons beaucoup et je sais qu'il arrive qu'on ait envie de "disparaître", de n'être rien en somme. Mais vous disparaîtrez pendant dix ans que vous retrouveriez en moi la même amitié, aussi jeune qu'il a des années quand je vous ai découvert en même temps que votre   œuvre. Et je ne sais pourquoi, j'ai le sentiment qu'il en est de même pour vous, à mon égard. Quoi qu'il en soit, je voudrais que vous vous sentiez toujours libre et d'une liberté confiante, avec moi.
                
                 Plus je vieillis et plus je trouve qu'on ne peut vivre qu'avec les êtres qui vous libèrent, qui vous aiment d'une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. La vie d'aujourd'hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu'on subisse encore de nouvelles servitudes, venus de qui on aime. À la fin, on mourrait de chagrin, littéralement. Et il faut que nous vivions, que nous trouvions les mots, l'élan, la réflexion, qui fondent une joie, la joie. Mais c'est ainsi que je suis votre ami, j'aime votre bonheur, votre liberté, votre aventure en un mot, et je voudrais être pour vous le compagnon dont on est sûr, toujours.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             

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  • Tu es ton propre précurseur, et les tours que tu as construites ne sont que les fondations de ton moi-géant.
    Et ce moi sera à son tour une fondation.
    Et moi aussi, je suis mon propre précurseur, car l'ombre allongée devant moi au lever du soleil
    se repliera sous mes pieds à midi.
    Ensuite, un autre lever du soleil étendra une autre ombre devant moi,
    qui se repliera aussi lors d'un autre midi.
    Nous avons toujours été nos propres précurseurs, et nous le serons toujours.
    Et tout ce que nous avons récolté et récolterons ne sera que semences pour des champs en jachère.
    Nous sommes les champs et les laboureurs, les moissoneurs et la moisson.
    Quand tu étais un désir errant dans la brume, j'étais, moi-aussi, un désir errant.
    Puis nous nous sommes cherchés, et des rêves sont nés de nos ardeurs.
    Ces rêves étaient illimités dans le temps et espace sans mesure.
    Et quand tu étais une parole silencieuse sur les lèvres frémissantes de la vie, j'étais là, moi aussi,
    une autre parole silencieuse. Puis la vie nous a prononcés et nous traversés les années, le coeur palpitant
    avec les souvenirs d'hier et aspirant à demain, car hier était la mort conquise, et demain la naissance recherchée.
    à présent, nous sommes entre les mains de Dieu. Tu es un soleil dans Sa main droite et je suis une terre
    dans Sa main gauche. Mais tu ne brilles pas plus que moi, qui suis éclairé.
    Et nous, soleil et terre, ne sommes que les prémices d'un plus grand soleil et d'une plus grande terre.
    Et nous serons toujours prémices.
    Tu es ton propre précurseur, toi l'étranger qui passe devant le portail de mon jardin.
    Et je suis, moi aussi, mon propre précurseur, bien que je sois assis dans l'ombre de mes arbres et paraisse immobile.

                                                (Khalil Gibran, Le Précurseur)جبران خليل جبران


    Gibran Khalil Gibran (جبران خليل جبران) figure en bonne place parmi les poètes et peintres issus du
    Moyen-Orient, grâce notamment à son recueil : Le Prophète. Né au Liban (1883 à Bcharré - 1931 à New York), il a ensuite séjourné en Europe et surtout aux États-Unis où il a passé la majeure partie de sa vie. Chrétien catholique de rite maronite, son Église jugera hérétique son troisième livre, Esprits rebelles (l'appel du prophète), qui sera brûlé en place publique par le pouvoir ottoman en 1908.




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  • Lors de mon voyage  à Avignon;j'ai eu le plaisir d'assister à un récital vocal et musical intitulé:"Char,Camus ou les deux soleils de Sénac",de la compagnie Ciel du piano voyageur". Cette représentation m'a amené dès mon retour à Grenoble à me mettre  à la quête du livre:"Albert Camus – René Char, Correspondance 1946-1959". J'ai pu le trouver et j'ai entamé sa lecture,un pur bonheur.


    Dès leur première rencontre, en 1946, ils se reconnurent.

    Derrière eux, il y avait la guerre, la Résistance, et les engagements d'avant-guerre.

    Ils appartenaient à la même espèce d'hommes.

    De ce passé, des combats menés, et de ceux à mener encore naquit un respect mutuel sur lequel s'épanouit une profonde amitié.

    La correspondance d'Albert Camus et René Char suit le lien précieux que l'écrivain et le poète développèrent au fil de leurs écrits respectifs, de leurs doutes, de leurs succès, de leurs préoccupations.

    Tous deux se tiennent au courant de leurs travaux, s'envoient ou se font envoyer leurs manuscrits à peine achevés, se dédicacent leurs livres.

    Il tient dans ces gestes non seulement une admiration réciproque, mais aussi et surtout le sentiment de maintenir le cap dans la même direction.

    Si l'un comme l'autre demeure le plus souvent laconique sur les difficultés qu'il rencontre, pour ne pas « encombrer » l'autre, ni alourdir un quotidien qu'il sait déjà chargé, l'ami vient rappeler sa présence, demander des nouvelles, renouveler sans cesse son soutien. Leur commune délicatesse est exemplaire.

    Malgré la pudeur, lorsqu'avec le temps les soucis deviennent trop pesants, et qu'avec le temps aussi la confiance et l'estime se renforcent encore, ils s'épanchent plus longuement.
    Leur correspondance en devient extrêmement attachante. La figure de Char se dessine à travers ses lettres de façon progressive. Colosse qui sait si bien se défendre (comme on peut le voir à travers les aventures littéraires de l'époque) et qui a souvent l'air de « protéger » un Albert Camus en proie à la maladie aussi bien qu'aux attaques virulentes, notamment de Jean-Paul Sartre, René Char se met pourtant à exprimer furtivement sa souffrance.
    Quant à Camus, malgré l'anxiété permanente, et souvent pire, il ne lâche rien de son amour de la vie, de son humanisme.

    Enviable amitié :

    « Un peu, où êtes-vous, cher Albert ?
    J'ai la sensation cruelle, tout à coup, de vous avoir perdu. Le Temps se fait en forme de hache.
    A quand ? »
    (carte postale de René Char, le 14 septembre 1957).

    Réponse de Camus :

    « Plus je vieillis et plus je trouve qu'on ne peut vivre qu'avec les êtres qui vous libèrent, et qui vous aiment d'une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. (...) C'est ainsi que je suis votre ami, j'aime votre bonheur, votre liberté, votre aventure en un mot, et je voudrais être pour vous le compagnon dont on est sûr, toujours. »
    (17 septembre 1957).

    Et Char d'ajouter :

    « Ils sont en si petit nombre ceux que nous aimons réellement et sans réserve, qui nous manquent et à qui nous savons manquer parfois, mystérieusement, si bien que les deux sensations, celle en soi et celle qu'on perçoit chez l'autre emporte même élancement et même souci ... »
    (septembre 1957).

    Mais c'est aussi à l'amour de la lumière du sud que les deux hommes se sont reconnus. L'un né en Algérie ne se fera jamais à Paris, l'autre natif de l'Isle-sur-Sorgue n'aura de cesse d'y revenir. C'est là-bas dans le Vaucluse qu'ils partageront et assouviront leurs besoins de soleil et de grands espaces.

    René Char y invitera systématiquement Albert Camus et cherchera pour lui une maison à acheter dans la région.

    En peu de mots, la communion sur ce sujet semble totale.

    « Ici il pleut, Paris a sa gueule d'acné. Je vous envie d'être au pays, le seul. »
    (Camus, le 19 septembre 1950).

    « Le contre-poison à l'arbre de bâtisse parisien, c'est l'arbre saisonnier de la forêt. »
    (René Char, 20 octobre 1952).

    Et encore :

    « Le bel arc-en-ciel de vos livres fait ma joie. ensemble, ils miroitent entre le jour et la lampe, comme une truite de la Sorgue, entre gravier et cresson."
    (René Char, 29 octobre 1953).


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  • Née le 14 mars 1931 à Batna dans une famille française, Colette Anna Grégoire, épouse Melki, pour l’état civil, a grandi à Menaâ, commune d’Arris. Son enfance au cœur des Aurès déterminera toute sa vie et, avant même ses engagements politiques ou culturels, l’adolescente sera marquée par l’extrême pauvreté, mais aussi les traditions de solidarité et la dignité des Chaouis. Se considérant déjà comme pleinement Algérienne, c’est à Annaba que son éveil politique prendra forme et l’amènera à participer directement à la guerre de Libération nationale. Elle sera arrêtée par les parachutistes de Massu en 1957 et emprisonnée à Barberousse (Alger) avant d’être expulsée d’Algérie. Cet engagement a donné à son écriture poétique à la fois un souffle et une thématique centrale parcourue également d’une ode permanente à la grandeur de l’amour et à la beauté du pays. Elle est considérée comme l’une des premières écrivaines algériennes et c’est sous le pseudonyme de Anna Gréki qu’elle s’est fait connaître, laissant une œuvre peu abondante, riche et enlevée, généralement sous forme de vers libres. En 1963, l’éditeur canadien J.-P. Oswald publie son fameux recueil Algérie, capitale Alger, édité simultanément à Tunis avec une préface de Mostefa Lacheraf et une traduction jointe en arabe de Tahar Cheriaâ. Plusieurs de ses poèmes ont paru dans des revues, notamment à partir de l’indépendance dans l’hebdomadaire Révolution africaine. Décédée en janvier 1966 dans une maternité, elle ne verra pas paraître son recueil intitulé Temps forts, édité la même année par Présence africaine (Paris). Mostefa Lacheraf, dans la préface précitée, a écrit : « On rêvera longtemps après la lecture de ces poèmes. Cette toute jeune femme porte la marque des plus grands. »


     

    J'habite une ville si candide

    Qu'on l'appelle Alger la Blanche

    Ses maisons chaulées sont suspendues

    En cascade en pain de sucre

    En coquilles d'oeufs brisées

    En lait de lumière solaire

    En éblouissante lessive passée au bleu

    En dentelle en entre-deux

    En plein milieu

    De tout le bleu

    D'une pomme bleue

    Je tourne sur moi-même

    Et je bats ce sucre bleu du ciel

    Et je bats cette neige bleue de mer

    Bâtie sur des îles battues qui furent mille

    Ville audacieuse

    Ville démarrée

    Ville marine bleu marine saline

    Ville au large rapide à l'aventure

    On l'appelle El Djezaïr

    Comme un navire

    De la compagnie Charles le Borgne

     


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