• Amities 0509

    Que le soleil est beau quand tout frais il se lève,
    Comme une explosion nous lançant son bonjour !
    - Bienheureux celui-là qui peut avec amour
    Saluer son coucher plus glorieux qu'un rêve !

    Je me souviens ! J'ai vu tout, fleur, source, sillon,
    Se pâmer sous son oeil comme un coeur qui palpite...
    - Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite,
    Pour attraper au moins un oblique rayon !

    Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire ;
    L'irrésistible Nuit établit son empire,
    Noire, humide, funeste et pleine de frissons ;

    Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage,
    Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage,
    Des crapauds imprévus et de froids limaçons.

     

                                                        Charles BAUDELAIRE   (1821-1867)

     


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  • Chapitre XIV

                                          La raison et la passion

     

    Et la prêtresse parla à nouveau et dit, Parlez-nous de la Raison et de la Passion.

    Et il répondit, disant :

    Votre âme est souvent un champ de bataille au sein duquel votre raison et votre jugement luttent contre votre passion et votre instinct.

    Puissé-je être l'émissaire de paix de votre âme, et transformer la discorde et la rivalité de ce qui vous constitue en unité et mélodie.

    Mais comment le pourrais-je, à moins que vous-même ne soyez l'émissaire de paix, plus encore, l'ami intime de ce qui vous fonde ?

    Votre raison et votre passion sont le gouvernail et les voiles de votre âme qui navigue de port en port.

    Si votre gouvernail ou vos voiles se brisent, vous ne pouvez qu'être ballottés et aller à la dérive, ou rester ancrés au milieu de la mer.

    Car la raison, régnant seule, est une force qui brise tout élan ; et la passion, livrée à elle-même, est une flamme qui se consume jusqu'à sa propre extinction.

    Aussi, laissez votre âme exalter votre raison jusqu'aux hauteurs de la passion, de sorte qu'elle puisse chanter ;

    Et laissez la diriger votre passion avec raison, afin que la passion puisse vivre au travers de son incessante résurrectionn, et tel le phœnix renaître de ses propres cendres.

    Je voudrais que vous considériez votre jugement et votre instinct ainsi que vous le feriez dans votre maison de deux hôtes bien aimés.

    Vous ne voudriez certainement pas honorer un hôte plus que l'autre ; car celui qui porte plus d'attention à l'un perd l'amour et la confiance de tous les deux.

    Lorsque parmi les collines, vous êtes assis à l'ombre fraîche des peupliers blancs, partageant la paix et la sérénité des champs et des prairies qui s'étendent au loin - alors laissez votre cœur dire en silence, "Dieu se repose en la raison".

    Et quand la tempête arrive, et qu'un vent fort secoue la forêt, et que le tonnerre et l'éclair proclament la majesté des cieux - alors laissez votre cœur dire avec respect, "Dieu agit dans la passion".

    Et puisque vous êtes un souffle dans la sphère de Dieu, et une feuille dans la forêt de Dieu, vous devez reposer en la raison, et agir avec passion.

     

                                              Gibran KHALIL


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  • Chapitre XIII


                                                        La liberté

     

    Et un orateur dit, Parle-nous de la Liberté.

     

    Et il répondit : Je vous ai vu vous prosterner aux portes de la cité et dans vos foyers, et vous vouer au culte de votre propre liberté, Comme les esclaves qui s'humilient devant un tyran et le louent, alors qu'il les anéantit. Oui, dans le bosquet du temple et dans l'ombre de la citadelle, j'ai vu les plus libres d'entre vous porter leur liberté comme un joug ou des menottes. Et mon cœur saigna en moi ; car vous ne pouvez être libre lorsque vous forgez une chaîne du désir même de la liberté, et quand vous ne cessez de parler de la liberté comme d'un but et un accomplissement.

     

     

    Vous serez libre en vérité non pas quand vous jours seront sans tourments et vos nuits sans un désir ou un chagrin, Mais d'avantage quand ces choses étrangleront votre vie, et que pourtant vous vous élèverez au-dessus d'elles, nu et sans entraves. Et comment vous élèverez-vous au-delà de vos jours et de vos nuits, à moins que vous ne rompiez les chaînes que vous-même, à l'aurore de votre entendement, avez fixé autour de votre âge mûr ?

     

     

    En vérité ce que vous appelez liberté est la plus solide de ces chaînes, bien que ses anneaux scintillent au soleil et éblouissent vos yeux. Et à quoi voulez-vous renoncer dans votre quête de la liberté, si ce n'est à des parcelles de vous même ? S'il existe une loi injuste que vous voudriez abolir, cette loi fut écrite de votre propre main sur votre propre front. Vous ne pouvez l'effacer en brûlant vos tables de la loi, ni en lavant le front de vos juges, même si vous déversiez sur eux la mer toute entière.

     

     

    Et s'il existe un despote que vous voudriez détrôner, voyez d'abord si l'image de son trône érigée en vous est détruite. Car comment le tyran peut-il régner sur les affranchis et les fiers, s'il n'existe une tyrannie dans leur propre liberté et une honte dans leur propre fierté ?

     

     

    Et s'il existe un tourment que vous voudriez dissiper, le siège de cette crainte est dans votre cœur et non dans la main du tourment. Vraiment, toutes les choses se meuvent dans votre être en une continuelle étreinte fatale ; ce que vous désirez et ce que vous redoutez, ce qui vous attire et ce qui vous répugne, ce que vous poursuivez et ce que vous voulez fuir.

     

     

    Ces choses se meuvent en vous comme la lumière et l'ombre, en couples enlacés. Et quand l'ombre se dissipe et disparaît, la lumière qui persiste devient l'ombre d'une autre lumière.

    Et telle est votre liberté qui, quand elle perd ses entraves, devient l'entrave d'une plus grande liberté.

                   Gibran KHALIL 

    Eynard 0153


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  • Chapitre XII


     

    Les lois

     
     

    Puis un juriste dit, Mais qu'en est-il des nos Lois, maître ?

    Et il répondit :

    Vous vous délectez à établir des lois,

    Mais vous éprouvez un délice plus grand encore à les violer.

    Tels des enfants jouant au bord de l'océan, qui construisent avec persévérance des châteaux de sable, puis les détruisent en riant.

    Mais pendant que vous construisez vos châteaux de sable, l'océan apporte d'avantage de sable à la plage,

    Et quand vous les détruisez, l'océan rit avec vous.

    En vérité, l'océan rit toujours avec l'innocent.

    Mais que dire de ceux pour qui la vie n'est pas un océan, et pour qui les lois humaines ne sont pas des châteaux de sable,

    Mais pour qui la vie est une roche, et la loi un ciseau avec lequel ils voudraient la tailler à leur propre image ?

    Que dire du paralysé qui hait les danseurs ?

    Que dire du bœuf qui aime son joug, et pour qui l'élan et le daim de la forêt sont des choses égarées et vagabondes ?

    Que dire du vieux serpent qui ne peut plus perdre sa peau, et pour qui tous les autres sont nus et sans pudeur ?

    Et de celui qui arrive le premier à la fête du mariage et qui, repu et fatigué, s'en va clamant que toutes les fêtes sont des forfaitures et les convives des hors-la-loi ?

    Que dirais-je d'eux sinon qu'ils se tiennent aussi dans la lumière, mais tournent le dos au soleil ?

    Ils ne voient que leurs ombres, et leurs ombres sont leurs lois.

    Et que signifie le soleil pour eux, si ce n'est ce qui projette les ombres ?

    Et qu'est-ce que reconnaître les lois, sinon se baisser et tracer leurs ombres sur le sol ?

    Mais vous qui marchez face au soleil, quelles images dessinées sur le sol peuvent vous arrêter ?

    Vous qui voyagez avec le vent, quelle girouette dirigera votre course ?

    Quelle loi de l'homme vous contraindra, si vous ne brisez votre joug sur aucune porte de prison faite par l'homme ?

    Quelle loi craindrez-vous, si vous dansez et ne trébuchez sur aucune chaîne de fer forgée par l'homme ?

    Et qui pourra vous mener en justice, si vous arrachez vos vêtements et ne les laissez dans aucun chemin tracé par l'homme ?

    Peuple d'Orphalese, vous pouvez assourdir le tambour, et relâcher les cordes de la lyre, mais qui pourra interdire à l'alouette de chanter ?

     

    Gibran KHALLIL


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  • Chapitre XI



     

    Le crime et les chatiments

     
    Alors un des juges de la cité se leva et dit, Parle-nous du Crime et du Châtiment.

    Et il répondit, disant :

     

    C'est quand votre esprit erre au gré du vent,

    Que vous, seul et imprudent, causez préjudice à autrui et par conséquent à vous-même.

    Et pour ce préjudice, vous devez frapper et attendre dans le dédain à la porte des élus.

    Comme l'océan est votre moi-divin ;

    Il demeure à jamais immaculé.

    Et comme l'éther il ne soulève que ceux qui ont des ailes.

    Comme le soleil est votre moi-divin ;

    Il ne sait rien des tunnels de la taupe, ni ne cherche dans les trous des serpents.

    Mais votre moi-divin ne réside pas seul dans votre être.

    Beaucoup en vous est encore humain, et beaucoup en vous n'est pas encore humain,

    Mais comme un nain informe qui marche endormi dans la brume, à la recherche de son propre éveil.

    Et de l'humain en vous je voudrais parler maintenant.

    Car c'est lui et non votre moi-divin, ni le nain dans la brume, qui connaît le crime et le châtiment du crime.

    Souvent je vous ai entendu parler de celui qui a commis une faute comme s'il n'était pas l'un de vous, mais un étranger parmi vous et un intrus dans votre monde.

    Mais je vous le dis, de même que le saint et le juste ne peuvent s'élever au-dessus de ce qu'il y a de plus élevé en chacun d'entre nous,

    De même, le malin et le faible ne peuvent sombrer aussi bas que ce qu'il y a aussi en nous de plus vil.

    Et de même qu'une seule feuille ne jaunit qu'avec l'assentiment silencieux de l'arbre tout entier,

    Le fautif ne peut commettre de fautes sans la volonté secrète de vous tous.

    Comme une procession, vous marchez ensemble vers votre moi-divin.

    Vous êtes le chemin et les voyageurs.

    Et lorsque l'un de vous chute, il chute pour ceux qui sont derrière lui, les prévenant de la pierre qui l'a fait trébucher.

    Oui, et il tombe pour ceux qui sont devant lui qui, bien qu'ayant le pied plus agile et plus sûr, n'ont cependant pas écarté la pierre.

    Et ceci encore, dussent ces mots peser lourdement sur vos cœurs :

    Le meurtre n'est pas inexplicable pour celui qui en est la victime.

    Et celui qui a été dérobé n'est pas irréprochable d'avoir été volé.

    Et le juste n'est pas innocent des méfaits du méchant,

    Et celui dont les mains sont pures n'est pas intact des actes du félon.

    Oui, le coupable est souvent la victime de celui qu'il a blessé.

    Et plus souvent encore, le condamné porte le fardeau de l'innocent et de l'irréprochable.

     Vous ne pouvez séparer le juste de l'injuste et le coupable de l'innocent ;

    Car ils se tiennent unis devant la face du soleil, comme le fil noir et blanc tissés ensemble.

    Et quand le fil noir rompt, le tisserand examine le tissu tout entier, ainsi que son métier.

    Si l'un d'entre vous mène devant le juge la femme infidèle,

    Qu'il mette aussi en balance le cœur de son mari, et mesure son âme avec circonspection.

    Et que celui qui voudrait fouetter l'offenseur, considère l'âme de celui qui est offensé.

    Si l'un de vous punit au nom de la droiture et plante sa hache dans l'arbre tordu, qu'il en regarde les racines ;

    Et en vérité, il trouvera les racines du bien et du mal, du fécond et du stérile, entremêlées ensemble dans le cœur silencieux de la terre.

    Et vous, juges qui voulez être justes.

    Quel jugement prononcez-vous à l'encontre de celui qui, bien qu'honnête en sa chair est voleur en esprit ?

    Quelle sanction imposez-vous à celui qui tue dans la chair alors que son propre esprit a été tué ?

    Et comment poursuivez-vous celui qui dans ses actes trompe et oppresse,

    Mais qui est lui-même affligé et outragé ?

    Et comment punirez-vous ceux pour qui le remords est déjà plus grand que leurs méfaits ?

    Le remords n'est-il pas la justice rendue par cette loi même que vous voulez servir ?

    Cependant, vous ne pouvez pas infliger le remords à l'innocent ni en libérer le cœur du coupable.

    Inconsciemment il appellera dans la nuit, afin que les hommes se réveillent et se considèrent.

    Et vous qui voulez comprendre la justice, comment le ferez-vous sans regarder toutes choses en pleine lumière ?

    Alors seulement vous saurez que l'homme droit et le déchu sont un seul homme debout dans le crépuscule, entre la nuit de son moi-nain et le jour de son moi-divin.

    Et que la clef de voûte du temple n'est pas plus haute que la pierre la plus profonde de ses fondations.
                         

     

                                                Gibran Khalil

     


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