•  

    Tout est lumière, tout est joie.

    L'araignée au pied diligent

    Attache aux tulipes de soie

    Les rondes dentelles d'argent.

    La frissonnante libellule

    Mire les globes de ses yeux

    Dans l'étang splendide où pullule

    Tout un monde mystérieux.

    La rose semble, rajeunie,

    S'accoupler au bouton vermeil

    L'oiseau chante plein d'harmonie

    Dans les rameaux pleins de soleil.

    Sous les bois, où tout bruit s'émousse,

    Le faon craintif joue en rêvant :

    Dans les verts écrins de la mousse,

    Luit le scarabée, or vivant.

    La lune au jour est tiède et pâle

    Comme un joyeux convalescent;

    Tendre, elle ouvre ses yeux d'opale

    D'où la douceur du ciel descend !

    Tout vit et se pose avec grâce,

    Le rayon sur le seuil ouvert,

    L'ombre qui fuit sur l'eau qui passe,

    Le ciel bleu sur le coteau vert !

    La plaine brille, heureuse et pure;

    Le bois jase ; l'herbe fleurit.

    - Homme ! ne crains rien ! la nature

    Sait le grand secret, et sourit.

        Victor HUGO


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  • « J’ai peut-être rêvé : les vaisseaux sont fantômes
    Ai-je connu la ville où hier un attentat
    Mettait dans les journaux un air de glas qui sonne
    Au non-sens effréné qu’on appela Cirta
    C’est à douter d’un souvenir et l’Algérie
    Me dit dans un regard que mes yeux m’ont menti
    Et rien d’autre mon cœur que cette rêverie
    Au bastingage lourd d’un bateau qui partit

    Suis-je né dans l’exil et dans mon habitude
    A chercher au métro le couloir étranger
    Suis-je le prisonnier de cette servitude
    Qui nous fait dire blanc dés lors qu’il a neigé

    Mon cœur est un touriste aux étapes d’ennui
    Je ne visite rien qu’un souvenir qui râle
    Hôtel tout n’est qu’hôtel pour allonger la nuit
    Ah ! la fiche à remplir testament des escales

    Je connais sous les ponts à l’écoute du fleuve
    L’impassible dialogue et les mornes questions
    Que se pose un maudit à qui manque la preuve
    Qu’il est juste pour lui de dormir sous un pont

    Verrai-je un nouvel an aux couleurs de cerise
    La rue blonde au pavé d’un jour du mois de mai
    Et vers le Djebel Ouach quand bavarde la brise
    Tous ces rêves noyés d’un lac aux yeux fermés

    J’ai peut-être rêvé : les vaisseaux sont fantômes
    Ai-je connu la ville où hier un attentat
    Mettait dans les journaux un air de glas qui sonne
    Au non-sens  effréné qu'on appelle Cirta."

    Malek HADDAD(1927-1978)


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    L'interminable hiver tente un dernier effort,
    Pour enfouir la terre et refroidir l'espace :
    Sous le souffle effréné de l'ouragan du nord
    De plus en plus la neige en tourbillons s'entasse.
     
    Et cette blanche mer déferle dans le vent
    Par-dessus les taillis aux branches dénudées.
    Les chars dans les ravins comblés bloquent souvent
    Sous l'amoncellement continu des bordées.
     
    L'air glacial est lourd de morbides vapeurs.
    Nous sortons peu. Le soir près du feu nous rassemble ;
    Et les vieux dolemment racontent là des peurs
    Qui font frémir l'enfant, blêmir l'aïeul qui tremble.
     
    La cruelle saison sème au hasard les deuils.
    Pour les hôtes des bois partout se cache un piège,
    Et le braconnier traque orignaux et chevreuils
    Aveuglés du grésil, empêtrés de la neige.
     
    Tout souffre, hommes, bétail, tout pleure, arbres, échos.
    Dans son grenier gémit le pauvre, maigre et pâle,
    Et l'on croit par moment entendre ses sanglots
    À  travers les cents bruits de la brise qui râle.
     
    L'aurore ne luit plus sur les monts sourcilleux.
    Rien ne fait pressentir la fin des jours livides.
    Et si parfois un coin d'azur émerge aux cieux,
    L'hiver croule à flots plus drus sur les Laurentides.
     
    Mais de même qu'après le déluge, un matin,
    L'arc-en-ciel rayonna dans sa splendeur première,
    Le clair soleil pascal, qu'on croyait presque éteint,
    Demain va tout dorer de sa blonde lumière.

                

        William Chapman( 1850 -1917)

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  • Vous, les pauvres,

    Dites-moi

    Si la vie

    N'est pas une garce!

     

    Ah! Dire que

    Vous êtes les indispensables!...

     

    Ouvriers, gens modestes

    Pourquoi les gros

    Vous étouffent-ils en leur graisse

    Malsaine de profiteurs?

     

    Ouvriers,

    Les premiers à la tâche,

    Les premiers au combat,

    Les premiers au sacrifice,

    Et les premiers dans la détresse...

     

    Ouvriers,

    Mes frères au front songeur,

    Je voudrais tant

    Mettre un juste laurier,

     

    A vos gloires posthumes

    De sacrifiés.

    - La grosse machine humaine

    A beuglé sur leurs têtes,

    Et vente à leurs oreilles

    Le soupir gémissant des perclus !...

     

    Au foyer ingrat

    D’une infernale société,

    Vous rentrez exténués,

    Sans un réconfort

     

    Pour vos cœurs de « bétail pensif »…

    Et vos bras,

    Vos bras sains et lourds de sueur,

    Vos bras portent le calvaire

    De vos existences de renoncement !

             Soliloque 1946

     Kateb YACINE (Constantine 1929-Grenoble 1989)


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  • I

    A moitié petite,
    La petite
    Montée sur un banc.


    II

    Le vent
    Hésitant
    Roule une cigarette d'air.


    III

    Palissade peinte
    Les arbres verts sont tout rosés
    Voilà ma saison.


    IV

    Le cœur à ce qu'elle chante
    Elle fait fondre la neige
    La nourrice des oiseaux.


    V

    Paysage de paradis
    Nul ne sait que je rougis
    Au contact d'un homme, la nuit.



    VI

    La muette parle
    C'est l'imperfection de l'art
    Ce langage obscur.


    VII

    L'automobile est vraiment lancée
    Quatre têtes de martyrs
    Roulent sous les roues.


    VIII

    Roues des routes,
    Roues fil à fil déliées,
    Usées.


    IX

    Ah ! mille flammes, un feu, la lumière,
    Une ombre!
    Le soleil me suit.


    X

    Femme sans chanteur,
    Vêtements noirs, maisons grises,
    L'amour sort le soir.


    XI

    Une plume donne au chapeau
    Un air de légèreté
    La cheminée fume.


    Paul Éluard(1895-1952)
    DSCF4129


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