• Guy Bedos: Je suis Algérien

    C’est un jeune homme de 78 ans. Il est né dans l’Algérie française, n’a jamais vécu la guerre d’indépendance et revendique tout haut son «algérianité». Humoriste, éditorialiste, dramaturge, écrivain, comédien et humaniste, il s’appelle Guy Bedos et revient sur ses Mémoires d’outre-mère.

    -On vous a rarement vu dans un film dont le décor était l’Algérie ?

    J’ai eu plusieurs projets de films en Algérie et rien ne s’est fait. D’abord un film personnel sur une fille violée à l’âge de 11 ans. Un film qui m’était cher. Tout était compliqué pour la fabrication de ce film. Actuellement, je travaille sur l’adaptation du roman de Roland Bacri, Le Beau Temps perdu (1978), une belle histoire, un journaliste qui revient dans son pays qui l’a vu naître. Ce serait un film qui ne serait pas défavorable à l’Algérie d’aujourd’hui, à son peuple et qui ne traînerait pas derrière lui le slogan «Algérie française». Dans ce film, il y aurait une belle amitié entre ce journaliste et un chauffeur de taxi qui pourrait être interprété par Mohamed Fellag. Mais je ne sais pas si ce film se fera.

    -Quand vous évoquez l’Algérie, vous n’en parlez pas avec nostalgie comme peuvent le faire certains artistes...

    Sachez que les idées que j’ai actuellement, je les avais déjà à l’âge de 15 ans. J’ai eu de la chance, étant gosse, d’avoir rencontré une femme admirable du côté de Kouba qui m’a appris à écrire, à lire, à compter et les droits de l’homme. J’avais 7 ans. Elle s’appelait Finouche. Puis la première fois où j’ai dû résister face à un gouvernement que je ne supportais pas, ce fut face au mari de ma mère, mon beau-père, raciste et antisémite, un ancien ouvrier devenu patron, et qui tenait une scierie. Je me souviens d’un de ses employés, se coupant malencontreusement deux doigts. Je vois ça, affolé, ne sachant plus où me mettre. Je vois aussi son contremaître et le patron, mon beau-père, le sermonner. Pas un seul mot de compassion.

    Tout cela fut un grand service que m’ont rendu mes parents et qui m’aidèrent, malgré eux, à prendre position. Ma mère, par exemple, était la fille d’un type bien, proviseur du lycée où Camus avait fait une partie de ses études. J’entendais des phrases sortir de la bouche de ma mère et/ou de mon beau-père qui furent fondatrices pour mon initiation personnelle. Je me souviens d’un affrontement entre Juifs et Arabes d’Algérie, et de ma mère nous dire : «Qu’ils s’entretuent, cela fera toujours ça de moins.» Voir ça était plus important pour moi que de lire Karl Marx ! Plus tard, quand je suis devenu comédien, je me suis servi de ce métier pour effectuer mon premier engagement, la lutte contre le racisme quel qu’il soit. Et c’est devenu obsessionnel chez moi !

    -Depuis que vous êtes parti de votre pays natal, il y a eu des retours ?

    Pour la mort de mon père, je suis revenu en Algérie. Je devais avoir 20 et quelques années, c’était pendant la guerre. Je me souviens d’un acte d’héroïsme teinté d’humour, me baladant dans La Casbah, vêtu d’une petite chemise rose, cherchant à acheter un kilo de tomates. J’étais tout seul ! C’était un défi, car je voulais prouver à mon entourage que ce n’était pas une fatalité de se faire assassiner par les Arabes si on allait dans leur quartier. J’avais besoin d’accomplir mon acte de bravoure, car je me promenais avec un sentiment de honte vis-à-vis de ceux de ma génération. Puis, je suis retourné en Algérie dans les années 1980 pour faire un film avec Mireille Dumas, un documentaire dans lequel je revenais dans ma région avec mon fils, à Annaba (Le Passé retrouvé : Guy Bedos en Algérie, 1988). Je voulais montrer à mon enfant d’où je venais, un témoignage de ce que j’avais vécu. Les gens étaient contents de me voir et c’était réciproque. Quand je suis arrivé à Constantine, je me suis couché et j’ai embrassé la terre. Je suis profondément natif d’Algérie. Puis beaucoup plus tard, en 2005, j’ai écrit un livre qui s’appelait Mémoires d’outre-mère et dont on m’a rapporté tout le bien qu’en pensait Abdelaziz Bouteflika !

    -Et si demain, vous deviez revenir ?

    Si demain je vais sur Alger, je crains qu’un envoyé du gouvernement vienne me chercher, qu’on me «récupère». Je ne veux pas d’une photo officielle, plutôt officieuse avec le peuple. Sachez aussi que mon plus vieil ami d’enfance est un avocat algérien de Annaba et parfois, je crains pour sa vie compte tenu du fait qu’il n’aime pas l’Algérie d’aujourd’hui et qu’il le fait savoir. Très souvent, il vient me voir et me ramène des nouvelles du pays. Quand je me souviens de lui, je pense au fait qu’il était le seul Arabe de mon école et c’est avec lui que je me suis lié à vie. Je me revendique comme Algérien. Ma légion d’honneur, c’est quand un chauffeur de taxi algérien m’a dit un jour : «Vous êtes comme moi, Maghrébin» et je l’ai remercié. Je ne suis pas dans la mélancolie d’une Algérie française, je suis beaucoup plus proche d’un Camus que d’Enrico Macias. Je prends le risque de déplaire en disant ça, mais je ne changerai rien d’un iota. J’ai toujours agi ainsi, et ce, depuis mon enfance. Je n’ai pas encore tué l’enfant qui est en moi, malgré mon âge avancé. Je suis fier de porter mon enfance algérienne et si l’Algérie avait été différente de ce qu’elle est devenue, ce ne serait pas en Corse que j’aurais eu une maison, mais à Tipasa, près de mon ami Albert Camus. Mais l’histoire en a décidé autrement. Je suis un Méditerranéen inguérissable.

    -Lorsque la guerre de Libération éclate en 1954, vous vous trouvez déjà à Paris. Que se passe-t-il dans votre vie ? Comment vivez-vous cette période historiquement forte ?

    D’abord, quand je suis venu sur Paris, j’étais encore adolescent et je peux vous assurer que cela n’a pas été facile. On parle toujours du ciel bleu d’Algérie… Moi, je suis fâché avec celui de Paris. Il m’arrive encore, durant les hivers parisiens, de me retourner chez moi, quand je prends mon petit-déjeuner, pour ne pas à subir ce truc grisâtre. Quand la guerre éclate, je suis mobilisé. J’ai été incarcéré au Fort de Vincennes où j’ai effectué mes classes. A l’époque, j’étais déjà marié et père de famille. Et je fus finalement réformé pour maladie mentale. Je me souviens d’une conversation entre deux médecins, l’un voulant me jeter au gnouf (prison militaire), l’autre insistant sur le fait qu’il fallait me libérer au cas où j’aurais contaminé mes camarades. J’étais comédien et je devenais une maladie. J’ai le soupçon de n’avoir pas vraiment triché, surtout quand je découvre l’un des adages de cet endroit qui disait : «La discipline est la principale force des Armées».

    Je n’obéis à personne, ni à un homme politique ni même à un metteur en scène. Je veux être séduit. Je suis un réfractaire même si je suis très vivable ! Je lutte contre tout esprit de hiérarchie. Tout cela me ramène à mon beau-père. Je lui dois beaucoup, même de m’avoir fait échapper à la véritable explosion qui s’est traduite par la guerre d’Algérie. J’étais très heureux d’avoir échappé à cette guerre, car je ne voulais pas me retrouver dans la position de tueur. Le fait de mourir n’était rien comparé à celui d’enlever la vie. Ma mort ? Mektoub ! Je me suis construit finalement à l’inverse de ce à quoi j’avais assisté, de ce que j’avais subi. Longtemps, j’ai pensé à tous ces p’tit gars qui effectuaient leur classe et qui sont partis en Algérie. Ils n’avaient aucun lien avec ce pays, ils devaient juste défendre la France.

    -Ce que vous dites renvoie à ce film de Jacques Rozier, Adieu Philippine, qui mettait en scène un futur appelé avant son départ pour Alger...

    Exactement ! Tous ces gens arrivaient sur Alger, le port était beau et puis ensuite, ce fut l’enfer… des deux côtés. Cette guerre aura été une véritable saloperie ! A Paris, la vie n’était pas si simple compte tenu que j’avais été réfractaire à cette guerre. On m’en a beaucoup voulu à l’époque. Finalement, les Occidentaux en général n’ont pas de leçon à donner aux Orientaux.



    -Aujourd’hui, l’Algérie fête le cinquantième anniversaire de son indépendance. Vous avez toujours suivi ce qui s’ést déroulé depuis 1962 ?

    Toujours ! Même pendant les années 1990. Je me souviens d’amis algériens exilés qui ne voulaient plus revenir en Agérie. J’ai suivi tout ça. Puis, quand les différentes révolutions sont arrivées, les fameux «printemps arabes», j’ai tout de suite songé à l’Algérie et à ce qu’elle pouvait faire. Après en avoir discuté avec mon entourage, car il est primordial pour moi de m’informer, j’en ai déduit que 1988 était encore ancré dans les mémoires et surtout il m’était difficile d’identifier contre qui les Algériens devaient se révolter. Contre qui ? En Tunisie, il y avait Ben Ali, en Libye, El Gueddafi, en Egypte, Moubarak… en Algérie, j’ai l’impression que c’est encore confus ! Je ne l’invente pas, des amis algériens me le disent ! En somme, je reste en deuil de mon pays natal !

    In El Watan

    « Far-nienteEn V.O »

  • Commentaires

    1
    Samedi 7 Avril 2012 à 11:40
    ZAZA
    J'aime beau Guy Bedos, moins le fils..... Cette interview est très intéressante ma Fethi. Il parle vrai ce type. Bonne fête de Pâques . Bises et bonne journée . ZAZA
    2
    Samedi 7 Avril 2012 à 18:42
    Renée
    Un sacré personnage.............Bises amicales
    3
    Dimanche 8 Avril 2012 à 11:50
    jill-bill.over-blog.
    Bonjour fethi ! J'aimais bien son couple sur scène avec Sophie aussi... Le disque la drague l'ai passée en 73 à la soirée de mes noces ! Merci pour ta page qui lui est consacrée... Joyeuses Pâques aussi, jill
    4
    Dimanche 8 Avril 2012 à 12:00
    Rima
    Bonjour ,un monsieur aux multiples facettes...bon dimanche de Pâques.
    5
    Dimanche 8 Avril 2012 à 12:16
    Monica  et la mer et
    bon dimanche de PAQUES POUR TOI

    kénavo FETHI
    6
    Dimanche 8 Avril 2012 à 16:26
    Missnefer13500
    et bien c'est étrange comme parfois les évènements font une boucle et se rejoignent, se trouvent ou se retrouvent
    Bizarre ce que je dis peut être, j ai du mal a expliquer ce que je ressens
    ce blog me trouble , m'émeut
    et je m'interroge pour quoi aujourd'hui cette rencontre
    depuis quelques temps je suis troublée, émue, je m'interroge
    un livre lu dernièrement prêté depuis des lustres en est partiellement la cause, aujourd'hui je tombe sur cet article, ce blog :entre Alpes et Aures
    ma route c'est entre l'Algerie et Marseille avec des petits détours, je suis un peu Comme Bedos la guerre d'Independance je n'ai pas connu, enfin j'étais si jeune que je n'en ai gardé aucun souvenir
    bref je me raconte
    finalement je vais me décider, j'hésitais mais je vais le faire ce sera sur mon blog bientôt , je crois que j'en ai besoin
    merci pour la rencontre les routes de nos vie sont parfois surprenantes
    7
    Dimanche 8 Avril 2012 à 16:48
    Anne
    Qu'est-ce qu'il a pu nous faire rire (notamment avec Sophie Daumier) ou réfléchir (dans ses points Presse) !!!
    Merci de nous le rappeler...

    JOYEUSES FETES DE PAQUES !
    Amicalement, Anne
    8
    Dimanche 8 Avril 2012 à 17:00
    jean-pierre
    bonjour Fethi . je te souhaite aussi un très beau dimanche .
    ici il est plutôt froid .
    9
    Dimanche 8 Avril 2012 à 17:41
    Je passe te souhaiter un bon dimanche de pâques,
    bises
    10
    Dimanche 8 Avril 2012 à 17:47
    Mamychachat
    Merci pour ta visite dans mon humble blog et très bonne soirée.
    Joyeuses fêtes de Pâques et bonne soirée
    Bises
    11
    Dimanche 8 Avril 2012 à 17:54
    kola
    Bonsoir,
    Guy Bedos est quelque peu écorché et sincère, franc et direct... on aime ou non, je suis de ceux qui aime le personnage, bel article, merci à toi, excellente soirée,
    Jacqueline
    12
    Dimanche 8 Avril 2012 à 18:17
    Cendrine
    Bonjour Fethi,
    J'ai pris grand plaisir à lire cet article, fort bien construit, sur l'histoire et la pensée de Guy Bedos, vu par lui-même. La parole de ce grand monsieur, à la fois juste, sans complaisance et subversif, est très intéressante. On découvre plus avant l'homme sous le vernis de l'humoriste.
    Merci!
    Et j'ajouterais qu'une dégustation de chocolat pour accompagner une bonne lecture est très agréable...
    Bien amicalement
    Cendrine
    13
    Dimanche 8 Avril 2012 à 18:22
    ulysse
    Guy Bedos n'est pas qu'un humoriste c'est aussi un honnête homme
    14
    Dimanche 8 Avril 2012 à 19:41
    marine D
    Un homme qui dit ce qu'il pense, cash !
    Joyeuses Pâques Fethi
    15
    Dimanche 8 Avril 2012 à 20:50
    tulipe
    bon paques a toi aussi bisous
    16
    Dimanche 8 Avril 2012 à 20:59
    Evelyne
    Bedos je l'aime bien sans être une inconditionnelle ! Merci de ton passage chez moi Fethi, je te souhaite de très bonnes fêtes pascales.
    17
    Dimanche 8 Avril 2012 à 22:02
    merci de ta visite sur mon blog..;qui m'a bien fait plaisir et touché...amicalement
    claude
    18
    Samedi 14 Avril 2012 à 10:16
    Glycine blanche
    J'adore Guy Bedos. Merci pour cet article et bon WE.
    19
    moussa
    Samedi 28 Décembre 2013 à 22:03
    moussa
    Salut l'ami,Bedos l'éternel honnete Homme.
    La guerre ,la betise humaine.Sinon serait toujours parmi nous.
    bonne route mon ami.moussa.
    20
    guerin micheele
    Samedi 28 Décembre 2013 à 22:03
    guerin micheele
    Bsr j'apprends ce soir par internet que Guy Bedos a critiqué violemment la sortie de N. SWarkozy avec son épouse se tenant par la main.....!!!!!je ne vois pas le mal.... c'est très dur de vieillir et Guy Bedos vieillit très mal.... il a fait une allusion sexuelle concernant . Sarkozy ... ce dernier peut encore faire l'amour alors que Guy Bedos ne peut plus .....c'est terrible et je le plains.... un humoriste connu a dit il y a qq années :"la vie se résume à ceci : on baise on mange on boit et on meurt....." et oui... après l'amour il nous reste les plaisirs de la nourriture ensuite celui de boire et..... ilfaut mourrir...ainsi va la vie et certains comme Guy Bedos ne l'acceptent pas et deviennent aigris comme Sartre qui disait "l'enfer c'est les autres" parce que il devenait un viel homme et ne supportait plus personne.....pauvre Guy Bedos
    21
    marée arlette
    Samedi 28 Décembre 2013 à 22:03
    marée arlette
    POURQUOI tant de haine envers Maine Le Pen,la seule à n'avoir pas de casseroles au c....Que vous a t-elle fait?
    A l'inverse soutenir Mélenchon!!!Avec tout ce que je lis sur les pays socialo-comunistes...ben on n'est pas sorti de l'auberge!!!
    Bien à vous!
    22
    marée arlette
    Samedi 28 Décembre 2013 à 22:03
    marée arlette
    Partout pareil sur les blogs,si vous n'allez pas dans le sens voulu...=sélection et après ça on osera nous dire que la liberté d'expression est respectée!!!ha ha!!!
    Adios!
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